Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P, 13 févr. 2014 [AlterPresse] --- Le 11 février 2014 a marqué la commémoration du 16e anniversaire de la parution d’un document, dont l’importance est de plus en plus fondamentale pour un groupe de personnes exclues et très souvent considérées comme des étrangers dans leur propre pays : environ 30 millions de personnes déplacées internes dans le monde, dont plus de 145 mille personnes aujourd’hui en Haïti, selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.
Le document en question s’intitule Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, élaborés par le Représentant des Déplacés d’alors au sein de l’Organisation des Nations Unies (Onu), le docteur Francis Deng, et un groupe d’experts en droit.
Le document fut présenté à la Commission des Droits humains de l’Onu, qui avait, préalablement, demandé, au Secrétaire général de l’organisation, la définition d’un cadre de référence, en vue de fournir assistance et protection aux personnes déplacées, dont le nombre et la vulnérabilité augmentaient considérablement, au cours des années 1990 du siècle dernier, à cause des conflits armés, des tensions ethniques et aussi des abus contre les droits humains.
De 1982 à 1995, le nombre de personnes déplacées est passé de 1,2 million, concentrées dans seulement 11 pays, à 20 millions (des statistiques parlent de 25 millions) éparpillées dans plus de 40 pays. [1]
Cette augmentation du nombre de personnes déplacées a créé de la panique dans la Communauté internationale, qui craignait une éventuelle migration en masse de ces personnes par-delà les frontières de leur pays.
Il s’est révélé, alors, urgent de « contenir » ces déplacements à l’intérieur de ces pays et de prévenir d’éventuels flux migratoires.
Les Principes recteurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays répondent à ce double objectif : d’une part, combler un vide juridique (à travers le « soft law », parce que le document n’a pas un caractère obligatoire pour les États) au sujet de la protection des personnes déplacées ; d’autre part, éviter la transformation de ces déplacements internes en migration internationale.
Cependant, il a fallu attendre jusqu’en septembre 2005 (sept années après sa parution le 11 février 1998), au Sommet mondial des chefs d’États et de gouvernements, pour que ceux-ci reconnaissent, de manière officielle, combien ce document représente « une importante structure pour la protection des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ».
L’une des vertus du document consiste dans l’élargissement de son cadre d’application, par rapport à la Convention relative au Statut des Réfugiés, par exemple.
Dans le document, les personnes déplacées internes sont définies comme « des personnes ou des groupes de personnes, qui ont été forcées ou contraintes à fuir, ou à quitter leurs foyers ou leurs lieux de résidence habituels, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits humains ou de catastrophes, naturelles ou provoquées par l’homme, ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État ».
Cette définition s’applique, par exemple, au cas de plus d’un million d’Haïtiennes et d’Haïtiens, qui ont été forcés - par le tremblement de terre (considérée comme catastrophe naturelle) du 12 janvier 2010 - à abandonner leurs maisons et à se réfugier dans des camps et sous des tentes. [2]
Quelles perspectives pour les personnes déplacées internes en Haïti ?
Quoique des organisations internationales, dont l’Organisation internationale pour les migrations (Oim), et les autorités haïtiennes se félicitent de la réduction progressive du nombre de personnes, déplacées dans les camps depuis le 12 janvier 2010, et du « succès » des programmes de relogement, force est de constater de nombreux abus et violations de droits humains contre ce segment de la population, qui fait encore face à des conditions déplorables et des expulsions massives et violentes de la part des bandits, voire des autorités locales.
Leurs besoins spécifiques, leurs droits et dignité, durant et après leur déplacement, sont loin d’être pris en compte et protégés par les autorités nationales.
Quatre années après le tremblement de terre, leur cause est devenue de moins en moins visible, en dépit de la lutte, des protestations et du plaidoyer, menés par des associations de personnes déplacées, des organisations de défense des droits humains, sur le plan international et national, des citoyennes et citoyens de la société civile haïtienne.
La situation des personnes déplacées montre, avec éloquence, les blessures non encore cicatrisées du tremblement de terre et la nécessité de travailler à la refondation du pays, en tenant compte des besoins réels du peuple haïtien et, en particulier, des groupes vulnérables.
Et ce, au-delà des programmes d’urgence et autres projets ponctuels des Organisations non gouvernementales (généralement appelées Ong), des shows médiatiques, sur l’échiquier international, et des promesses politiciennes.
Face à ces problèmes, qui persistent encore en Haïti, plus d’uns se demandent dans quelle phase se trouve le pays après le désastre.
Dans la phase de l’assistance humanitaire ou celle du développement ?
Ou dans une perpétuelle transition d’une phase à une autre ?
Jusqu’à quand une politique de logement durable pour le pays, qui va au-delà d’un simple slogan de campagne présidentielle ?
La Constitution haïtienne en vigueur et les instruments internationaux de protection des droits humains, dont les Principes recteurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, sont-ils condamnés à rester lettre morte dans le pays ? [wel rc apr 13/02/2014 10:55]
[1] Depuis 1951, l’Onu disposait d’un instrument de protection juridique pour les réfugiés (en l’occurrence, la Convention relative au Statut des Réfugiés).
Tel n’était, cependant, pas le cas pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
[2] En vertu de la Convention de 1951, relative au Statut des Réfugiés, les Haïtiennes et Haïtiens, ayant fui leur pays après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, ne seraient pas considérés comme des réfugiés, parce que ce document n’inclut pas les victimes des catastrophes naturelles dans sa définition de « réfugié ».